Prioriser la réflexion collective

Préparer demain  avec un regard chrétien –

De l’urgence de Créer des Cercles de Réflexion catholiques

Sommaire – I. Cinq changements majeurs et nouveaux à l’échelle mondiale. II. Les quatre grandes difficultés à surmonter. III. Le silence des chrétiens et leurs conséquences. IV. Pourquoi le silence des catholiques ? V. Les débats, clés pour les propositions, les adhésions, les engagements. VI. Esquisse des Cercles de réflexion Catholiques structurés et accompagnés.  VII. Les trois conditions de mise en œuvre.

Que sera demain ? Jamais, depuis que les hommes ont laissé des témoignages écrits de leur aventure, les changements n’ont été aussi nombreux, intenses et rapides. Jamais, toutes les composantes de nos vies, climatiques, économiques, techniques, politiques et jusqu’aux aspects quotidiens les plus triviaux n’ont autant évolué, créant des situations absolument nouvelles auxquelles il serait suicidaire de ne pas se préparer.

Sommes-nous prêts à les affronter ?

I – Cinq changements majeurs et nouveaux à l’échelle mondiale

L’aggravation des détériorations en chaîne de la planète C’est le changement le plus visible avec ses multiples composantes comme le réchauffement climatique, les pollutions multiples et la raréfaction de nombreuses ressources, et leurs conséquences en chaîne. Rapides et intenses, ils font planer le risque de catastrophes humanitaires. D’autres changements moins visibles n’en sont pas moins importants.

Les hommes sont devenus interdépendants entre eux Autrefois les changements étaient lents, à l’échelle d’une région, voire d’un pays, et exceptionnellement celle d’un continent. Aujourd’hui, bouleversements et ruptures sont devenus brutaux et surtout planétaires : une guerre ou une mauvaise récolte en un pays menace de famine diverses parties du monde, les épidémies se propagent avant même d’être connues, les pénuries de ressources, d’eau et d’énergie ont des conséquences planétaires.

Notre soumission récente à des forces qui nous dépassent – La mondialisation à laquelle nul ne peut échapper, a entrainé la soumission de fait de toutes les communautés, jusqu’aux plus petites, aux décisions de grandes puissances étatiques ou interétatiques et de superpuissances commerciales échappant au contrôle des états.

Les évolutions démographiques – 1) La population mondiale est passée de 2,5 milliards en 1950 dans mon enfance, à 6,1 en 2000 et à 7,7 en 2020. Cette progression s’est ralentie et va même diminuer[1], sauf en certains pays à faible niveau éducatif et organisationnel où elle reste très forte. Dans ces pays, notamment dans des États africains, elle contribue à des guerres civiles ou extérieures qui entravent tout effort d’évolution. 2) La part de population européenne dans le monde qui était de 25 % en 1900 et qui avait peu changé au milieu du siècle dernier (22 %) a diminué de moitié (12 % en 2000). Simultanément de grands pays non européens accèdent à un haut niveau culturel, scientifique et organisationnel. Il en résulte une plus faible influence de l’Europe. 3) Les différences de taux de fécondité, les guerres, la désertification et demain la prévisible montée des océans provoquent en nombre d’endroits, un fort désir de migration vers les pays où la vie est plus facile.

Enfin les « progrès » techniques – Ils ont explosé dans tous les domaines avec des effets positifs et d’autres négatifs. Notons particulièrement les systèmes de connexion qui monopolisent une grande partie du temps des hommes d’un bout à l’autre de la planète, les vaccinations qui ont entraîné la suppression de maladies handicapantes ou mortelles mais aussi des explosions démographiques dans les pays peu éduqués, les progrès des engins de destruction massive, notamment atomiques.

Ces cinq catégories de bouleversements font qu’après trois siècles d’amélioration progressive du niveau de vie, les perspectives d’avenir sont préoccupantes et que, pour la première fois, nous voici entraînés dans un changement radical d’échelle, de perspectives et de responsabilités.

Aujourd’hui, comme à bien d’autres moments de l’aventure humaine, il est évident que nous devons réagir. L’histoire passée nous a enseigné qu’une partie des variations échappant à notre volonté et de leurs conséquences peut être en partie atténuée ou modifiée par des actions préventives. Elle nous a aussi appris que, chaque fois, cela implique un effort collectif et des ruptures dans nos modes de vie.

Dans le contexte actuel, « réagir » implique trois révolutions dans la manière de penser : une prise de conscience généralisée, la prise en compte de la globalité des causes et conséquences de chaque problème et des décisions prises de façon consensuelle. Les visions limitées à une vallée, une région ou un état doivent désormais s’étendre au monde entier dans sa diversité. L’homme, hier seul dans sa responsabilité est aujourd’hui mondialisé. Il doit dorénavant réfléchir, décider et réagir dans l’interdépendance. Il découvre que la survie du monde nécessite que chacun prenne conscience, jusque dans les vallées les plus reculées, que son coin de terre fait partie de notre « maison commune » [2], que cette maison est extrêmement fragile et que nous sommes coresponsables de son devenir. Sans consensus, on ne peut espérer ni bonne décision, ni applications concrètes.

II – Les quatre grandes difficultés à surmonter

Leur division, nécessaire pour la réflexion, est un peu artificielle car, on le verra, elles sont toutes liées.

La première et la plus difficile pour chacun concerne l’obligation de changer notre regard sur notre passé car le référentiel qui en découle conditionne largement nos convictions et nos décisions actuelles. La découverte des « autres » nous oblige peu à peu à abandonner certaines de nos certitudes d’hier. Ce n’est ni facile ni indolore. Tous les pays ont développé des visions autocentrées et partiales, donc partisanes. Nous voici dans le devoir de les tamiser au crible de la vérité et, pour certaines, de les réviser. L’étude de l’Histoire avec ses multiples facettes, même si elle garde toujours une part d’incertitude, s’enrichit dès qu’elle dépasse les conceptions nationales et se penche sur les cultures et sur ce qu’ont vécu les ennemis d’hier et les peuples méprisés. L’effort d’objectivité nous ouvre les yeux sur les catastrophes engendrées par l’ancestral esprit de concurrence, d’exploitation et de domination qui régnait d’un bout à l’autre de la planète. Notre « Histoire commune » apparaît comme une suite de désastres provoqués par l’égocentrisme des communautés humaines ou les ambitions d’hommes super-manipulateurs tels ceux qui ont déclenché la Seconde Guerre mondiale, l’invasion de l’Irak et plus récemment celle de l’Ukraine. Elle nous démontre aussi la capacité d’hommes de « bonne volonté » à élaborer des stratégies, des organisations et des comportements susceptibles d’atténuer ou de corriger les chocs extérieurs et leurs conséquences, et d’apporter de réels progrès en matière de vivre ensemble. Les convictions qui découlent des différents référentiels ne se valent pas. La récente invasion de l’Ukraine illustre l’importance de ces référentiels (pour les Russes, la gloire de l’empire et la lutte contre le déclin moral occidental ; pour les Nord-Américains, le désir de soumettre le monde à leur volonté ; pour les Occidentaux, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes). Chacun pense détenir seul la Vérité. Pour tous les peuples, le plus difficile est la capacité de changer des valeurs ancestrales, y compris devant la montée des périls [3].

La seconde concerne l’extrême difficulté à renverser l’indolence traditionnelle de sociétés qui croyant en un monde éternellement stable, se contentaient de consommer dans une relative insouciance. L’urbanisation et la culture d’assistanat ont fait perdre la vieille certitude paysanne qu’un retard sur les semailles ne se peut rattraper. Comment faire prendre conscience que, quel que soit le bouleversement étudié, on ne peut repousser sans fin les actions préventives ? Tant au niveau individuel que des états, la capacité à réagir était liée au degré d’exposition aux risques naturels. Par exemple, durant les deux dernières décennies, les mesures d’adaptation préventive à la montée des océans ont été très différentes selon les pays : les Pays Bas, instruits par de longs siècles de conquête sur l’océan, ont surélevé leurs digues, établi des barrages rapidement réglables, augmenté la puissance des pompes évacuatrices et été jusqu’à dépoldériser des espaces pour accueillir d’éventuels raz-de-marée. Beaucoup de pays sont encore dans le déni ou dans l’incapacité de faire une analyse juste, de prendre une décision efficace, de faire adhérer leur population, ou de la mener à bien pour des raisons techniques ou financières. Comment les aider à se réveiller ?

La troisième concerne la manière de prendre les décisions. Celles d’hier, étaient prises dans l’intimité de quelques penseurs ; elles doivent désormais être le fruit d’un consensus résultant d’un travail collectif animé par la volonté de trouver une solution. Il est de plus en plus évident que pour qu’une réaction ait des chances d’être efficace, elle doit prendre en compte la globalité des problèmes et la diversité des expériences et ensuite préparer en profondeur les opinions publiques.

La quatrième difficulté concerne la capacité de réflexion constructive des divers pays. Pour de multiples raisons tous n’ont pas le même niveau de capacité à faire les bonnes analyses, à générer les bonnes décisions, à créer l’indispensable adhésion de l’opinion publique, à les concrétiser en évitant les détournements de fonds, les corruptions et les enlisements, puis à les accompagner dans la durée. Bien des pays ont une faible capacité d’analyse, d’écoute des autres et de dépassement des attitudes d’affrontement. Ce handicap se trouve aussi bien dans des pays de faible niveau éducatif et de progression démographique incontrôlée que dans des pays de civilisation ancienne mais endormis dans le confort du conservatisme.

III – Le silence des chrétiens et leurs conséquences

Face à ces difficultés, la pensée chrétienne devrait jouer un rôle particulier de par sa spécificité, notamment en matière d’attention aux plus faibles, de solidarité et de valorisation de la spiritualité (même si elle n’en a pas le monopole). Elle devrait donc se faire entendre à tous les niveaux, depuis les communautés de base jusqu’aux centres de décision internationaux. Or actuellement, force est de constater que la voix chrétienne se fait peu entendre. Alors que les débats sociétaux sont nombreux dans les médias et sur la place publique, les grandes entreprises managériales, les partis politiques ou les institutions étatiques, la pensée chrétienne est peu présente ou peu audible et sinon, elle est perçue par beaucoup comme décalée et obsolète.

Il en résulte trois conséquences particulièrement graves.

1° Le peu d’écoute des options chrétiennes  Ne s’appuyant pas sur une réflexion collective en profondeur, elles sont souvent combattues ou ridiculisés. Plus grave, elles sont parfois loin d’être à la mesure des problèmes actuels et des évolutions futures prévisibles. Il en résulte une grande difficulté tant à émettre des propositions constructives qu’à se faire comprendre, et une image de croyants archaïques et insouciants de l’évolution du monde.

La place faite aux ennemis de la foi et des enseignements évangéliques – Tandis que le peuple chrétien laisse la parole publique aux seuls pasteurs, 175 000 francs-maçons se réunissent deux fois par mois pour réfléchir ensemble [4] avec la volonté d’écouter la diversité des opinions et d’en comprendre les causes, et les causes des causes, afin de préparer « demain ». Apathie et silence des catholiques (20 millions de Français des générations actives) d’un côté, travail et propositions des francs-maçons (une minorité) de l’autre. Étonnez-vous que notre société évolue dans un sens souvent éloigné des valeurs évangéliques !

3° Le départ de nombreux intellectuels (au sens de « qui réfléchissent ») – Ils se détournent de l’Église parce qu’ayant délaissé la réflexion collective, elle ne répond pas à leurs interrogations existentielles et qu’ils s’y sentent infantilisés. Il y a autant de façons/raisons de quitter l’Église que de se laisser prendre par le Christ et l’absence de réflexion collective en est une. La pauvreté des débats dans l’Église catholique en est une pour beaucoup de ceux qui accordent une grande place à la réflexion. Ce ne sont pas les chrétiens les plus importants mais ce sont eux qui forgent les courants d’opinions populaires et les lois sociétales.

4° La pauvreté de la réflexion chrétienne Cette quatrième conséquence est due à la rareté des débats collectifs transversaux, cad. entre des catholiques d’expériences et d’opinions différentes. Sans eux, on ne peut espérer une analyse de la globalité des problèmes, le développement d’attitudes consensuelles et au bout, une adhésion en profondeur et un engagement concret.

La faible adhésion des catholiques eux-mêmes aux recommandations de l’ÉgliseElles aussi nécessiteraient des débats ENTRE eux et non DEVANT eux. Cette absence de réflexion collective contribue aux oppositions violentes sur la liturgie et les problèmes sociaux, à l’abstention des jeunes dans les élections, au faible engagement dans les bénévolats, au peu d’impact des grandes encycliques papales ou des directives des évêques, à l’absence des catholiques dans les organisations qui préparent l’avenir…

6° La faible visibilité de l’Église en France – Nombre de ceux « qui cherchent », en particulier, les immigrés curieux de notre religion, ne voyant autour d’eux qu’insouciance et libertarisme, demandent souvent : « mais où sont les catholiques ? »

Ainsi tandis que les catholiques adultes-engagés de manière concrète (# 3 millions ?) réfléchissent assez peu aux bouleversements actuels et aux réformes structurales et sociétales nécessaires pour préparer un avenir plus solidaire, des francs-maçons bien organisés se réunissent deux fois par mois pour y réfléchir et forgent l’opinion publique.

Il est urgent que les catholiques soient incités par leurs pasteurs à débattre entre eux, alors que jusqu’à présent ils n’ont été invités qu’à des débats devant eux. Pour cela il faut créer des Cercles de réflexion catholiques (ou chrétiens) ayant des objectifs précis et des règles de discussion précises.

IV – Pourquoi ce silence des catholiques ?

La pensée chrétienne consacrée aux matières sociétales et à l’évolution du monde est loin d’être pauvre : en témoigne l’abondance des livres et conférences. Et nombreux sont les catholiques qui réfléchissent dans des mouvements comme les Semaines Sociales, les EDC (entrepreneurs et dirigeants chrétiens), les Actions Catholiques, les aumôneries, les scouts et diverses associations. Alors pourquoi ce silence dans les médias et l’opinion publique ? Essayons de démêler cette conjonction des causes en analysant successivement celles qui tiennent aux laïcs et celles qui tiennent de l’institution.

Les causes tenant aux laïcs

La première est que leur pensée est souvent marginale. Du fait de leur appartenance catégorielle, leur champ de réflexion est souvent limité par des éclairages partiels et donc partiaux, ce qui exclue la possibilité de construire des initiatives vraiment consensuelles. C’est le cas des mouvements qui ne réunissent qu’une partie de population ayant une vision et des intérêts communs.

La seconde tient à ce que son expression publique reste timide, confidentielle et peu partagée : individuellement, les catholiques et leurs mouvements n’ont qu’une influence limitée à des publics particuliers. Les médias catholiques, souvent confinés dans des exposés de chapelle et la retransmission de célébrations pieuses, renforcent encore cette impression. De plus cette expression est entravée par les libertaires et les athées qui les accusent d’être dogmatiques, moralisateurs et animés par une volonté dominatrice, ce qui fut parfois le cas dans les siècles passés.

Troisième cause, les catholiques ont relégué la foi au domaine privé. Beaucoup jouent un rôle important dans des mouvements professionnels, catégoriels ou politiques, mais comme un levain caché. À force d’être caché, ce levain risque de perdre ses racines, la morale évangélique et la doctrine sociale de l’Église.

Quatrième cause, tout se passe comme si les catholiques hésitaient sur la possibilité, l’utilité et la légitimité de cette réflexion. On lui oppose de nombreux arguments. D’abord que tous les référentiels se valent : c’est oublier que les décisions sont largement conditionnées par ces référentiels et que certains engendrent des décisions contraires à la solidarité et au respect de la dignité de toute vie humaine. L’utilité d’une vision et d’une construction chrétienne se discute peu lorsqu’on compare les réponses nuisibles engendrées par certaines nations, religions, ou entreprises commerciales ou financières aux œuvres caritatives catholiques qui s’adressent à tous indépendamment de leur religion et puisent leurs racines dans l’enseignement du Christ. Cela montre la spécificité et l’utilité du comportement chrétien. La deuxième raison tient à ce que par le passé, les chrétiens ont longtemps estimé que cette pensée chrétienne étant supérieure aux autres devait s’imposer : actuellement elle est conçue comme porteuse de propositions pour la construction d’un monde où il fait bon vivre pour tous. Enfin d’autres invoquent la faible place de la réflexion collective dans les Évangiles : il est aisé de montrer que cela est dû au contexte sociétal au temps du Christ et qu’elle est implicitement contenue dans ses divers enseignements concernant l’attention aux autres. Dans le contexte plus récent, de Rerum Novarum (1892), à Lumen Gentium (Vatican II — 1964) et aux encycliques récentes (Caritas in Veritate, Fratelli Tutti), l’Église appelle les baptisés à participer activement à la construction des structures solidaires et à la lutte contre celles qui sont contraires à l’intérêt des hommes et aux règles évangéliques. Enfin l’hésitation peut provenir des déviances historiques (les croisades ou l’inquisition), ou plus récemment des abus exercés par des clercs : il est aisé de montrer qu’elles ont été condamnées et que le projet actuel est un plus pour l’humanité. Aujourd’hui, proposer n’est pas imposer et annoncer n’est pas faire du prosélytisme.

Cinquième cause, la passivité des catholiques. Avons-nous été gagnés par l’apathie d’une société qui a massivement substitué au temps de la réflexion celui du plaisir, au goût de la culture, celui des loisirs et au regard fraternel, une vision ego-centrée ? Ou estimons-nous qu’il suffit que les évêques réfléchissent pour nous ? Ces deux propositions détiennent chacune une part de vérité. Notre passivité s’apparente à une sorte de démission collective de notre responsabilité de baptisés. Avons-nous oublié les allégories de la lumière du monde et du sel de la terre ? N’est-il pas temps de nous interroger ? La préparation de l’organisation et des structures du monde de demain a-t-elle si peu de place dans nos préoccupations ou avons-nous perdu l’habitude de réfléchir ensemble ? Certains, englués dans leur bulle, se demandent pourquoi il ne suffirait pas de continuer comme nous l’avons toujours fait. D’autres évoquent le fait que nous avons su surmonter de multiples changements sociétaux sans rien changer. C’est méconnaître que nos prédécesseurs ont toujours dû s’adapter aux évolutions multiples et celles-ci n’ont jamais atteint l’ampleur actuelle : il suffit de regarder les conséquences du réchauffement ou le mode de vie de nos jeunes, aux antipodes de celui de nos parents.

La réflexion chrétienne doit porter sur tout, depuis le petit village devenu interdépendant du monde entier jusqu’au cosmos objet de nouveaux appétits. L’étude attentive de l’Histoire récente et ancienne nous enseigne que pour résister aux comportements totalitaires et asservissants, il faut s’être intensément préparés. Elle nous apprend à séparer, difficulté suprême, ce qui, dans notre culture, est fondamental de ce qui fut contextuel, utile de ce qui ne l’est plus, efficace de ce qui ne marche plus. Ce qui nous conduit à accepter parfois de changer des convictions que nous croyions essentielles alors qu’elles n’étaient qu’issues d’une adaptation temporaire à des conditions éphémères.

Les causes tenant à l’institution.

En réalité, le silence des laïcs est principalement lié au manque d’incitation à une réflexion communautaire de la part de la hiérarchie, trop heureuse du silence de ce troupeau docile. Il lui laisse le monopole incontesté de la direction des grandes recommandations sociétales et de l’expression chrétienne auprès du grand public. La hiérarchie ne se rend pas compte que ce monopole aboutit à étouffer la pensée des laïcs et que cela provoque la faiblesse de leur adhésion et de leur participation concrète. On peut se demander si, sur la rive catholique, depuis des siècles, la soumission, sans discussion ni contestation, aux directives doctrinales de la hiérarchie n’a pas détruit la capacité de penser. Cette attitude ne se fait pas sans la complicité de certains laïcs et des médias confessionnels.

Cette réserve de l’Église tient à cinq raisons principales : la crainte des déviances et des lobbys de pression ; le fait que les chrétiens ne savent plus discuter de façon constructive et sombrent rapidement dans l’affrontement ; le fait que la priorité doit être donnée à la prière et aux actions caritatives ; la crainte de perdre le monopole de l’autorité ; le fait que ce ne serait pas au clergé démettre cette incitation. Examinons ces raisons successivement.

  • Le risque de déviance. Il est réel mais les risques liés à l’absence des chrétiens dans la pensée publique sont bien pires. Nous en verrons les conséquences actuelles dans la section suivante. En attendant, jetons un regard sur le XIXème siècle. Quand la France se releva de l’épouvantable saignée des guerres napoléoniennes, elle développa une multitude d’usines et d’exploitations minières et, pour les faire fonctionner, s’appuya sur l’exploitation incontrôlée des pauvres. Le scandale de la condition ouvrière fut connu de tous dès les années 1830. Les catholiques réagirent par d’admirables œuvres sociales mais ceux qui réfléchirent aux structures, comme Lamennais et le père Lacordaire, furent rapidement muselés. L’encyclique Mirari Vos (1832) fut interprétée comme l’interdiction de la liberté de penser, de la liberté de la presse et de toute réforme. La réflexion sur les nécessaires réformes devint le fief des anticléricaux. Les catholiques restèrent silencieux durant 60 ans. Ils ne commencèrent à s’exprimer timidement qu’après l’encyclique Rerum Novarum (1891). On peut abondamment critiquer ce bref raccourci, mais il est impossible de ne pas faire le lien entre ce muselage et le caractère antireligieux de la majorité des lois instaurées à la fin du XIXème siècle.
  • La difficulté des chrétiens à discuter de façon constructive sans sombrer dans l’affrontement[5]. C’est une réalité. Elle tient au fait que la pensée des catholiques fut tellement étouffée par la hiérarchie qu’ils en perdirent jusqu’à l’aptitude à discuter de manière constructive avec des personnes d’expérience et d’opinions différentes. Moins les laïcs réfléchissent collectivement, moins ils savent le faire sans s’affronter. La démarche collective de recherche de consensus s’apprend en confrontant des expériences et opinions différentes. Sans elle, on en reste à des visions catégorielles, donc partielles, donc partiales, donc égoïstes et fermées au consensus. La récente consultation durant la phase diocésaine du Synode sur la Synodalité a montré l’enthousiasme et le sérieux avec lequel beaucoup de catholiques-engagés ont répondu à l’appel. Elle a aussi fait apparaître la désorientation de certains membres des équipes synodales invités pour la première fois à réfléchir sur la manière de faire de l’Église (la nôtre, celle des clercs et celle de l’Institution) avec l’objectif de la rendre plus conforme à sa vocation et plus apte à transmettre dans le monde actuel. Réfléchir ? Faute d’habitude, beaucoup ont constaté leur difficulté à dépasser les visions individuelles, à écouter les opinions différentes et à discuter pacifiquement de propositions constructives. L’absence de lieux de réflexion chrétiens autres que catégoriels et l’obéissance passive aux recommandations ecclésiales ont contribué à l’enfermement dans des bulles sociales, à l’auto-référencement, à l’agressivité face aux opinions opposées et à l’incapacité à entrer dans des démarches de consensus. Il ne faut donc pas fuir ces difficultés mais les affronter. On ne peut espérer insuffler des références chrétiennes dans la construction du monde de demain sans prendre en compte les différentes facettes des problèmes et sans explorer les motivations de ceux qui pensent différemment.
  • L’accent mis par les clercs sur les deux priorités du chrétien que sont les activités pieuses et caritatives. De fait, ce sont les deux principales recommandations de tous les discours ecclésiastiques des homélies aux grands textes institutionnels. Mais la charité ne doit-elle être qu’immédiate ou doit-elle aussi s’intéresser à la préparation de demain ? Si la prière et les œuvres sont des piliers de notre foi, elles ne sauraient remplacer la préparation des restructurations et des adaptations sociétales et managériales. Est-ce à se taire que le Christ nous appelle alors que l’humanité est contaminée par le magma matérialiste, hédoniste et relativiste, par une philosophie laïque militante et, en certains endroits, par une islamisation inspirée par l’Organisation de Coopération Islamique [6] ? Suivre Jésus-Christ, bien sûr c’est prier et œuvrer dans le caritatif, mais n’est-ce pas aussi accompagner les bouleversements actuels, dénombrer les effets pervers et préparer le futur avec ses prévisibles et ses imprévisibles ? Comment donne-t-on le plus à manger à ceux qui ont faim, en distribuant des repas ou en préparant des structures et des mécanismes solidaires ? L’un est-il plus important que l’autre ?
  • La quatrième raison tient à la crainte de certains clercs et d’institutions de perdre le monopole de l’autorité. Mais sur quoi doit se porter l’autorité des pasteurs ? Au-delà l’enseignement doctrinal et de la vie de prière, doit-elle s’étendre aux applications pratiques dans un monde extrêmement complexe ou la compétence des clercs doit-elle s’arrêter devant des expériences professionnelles dont ils n’ont aucune connaissance ? Les médias catholiques contribuent à alimenter cette confusion en donnant la parole presque exclusivement aux évêques et aux clercs. Il est urgent que s’établisse une plus juste définition des rôles de chacun dans le contexte actuel.
  • Il ne serait pas du rôle de l’Eglise de faire de tells incitations. Cette raison, en contradiction avec précédente, est souvent entendue. Elle méconnait que dans les faits, les attitudes des catholiques sont largement formatées par les recommandations ecclésiales et que toute entreprise faite séparément est rapidement taxée de protestantisme. Si ce n’est pas à l’Église institutionnelle d’organiser une réflexion collective, il est de sa mission d’en donner l’impulsion dans la démarche évangélisatrice. Pour attirer à nouveau les intellectuels et intéresser ceux qui sont à l’origine de l’opinion et des lois, il faut que l’Église de France incite les laïcs à accorder à la réflexion collective et transversale, une vraie place à côté de la prière et du caritatif. L’intérêt spirituel suivra l’intérêt intellectuel. Si elle ne le fait pas, l’Église continuera de s’étioler progressivement.

L’Église institutionnelle porte donc une lourde responsabilité dans ce silence. Les catholiques sont habituellement absents des lieux de réflexion sur l’avenir parce qu’ils n’y sont pas préparés par une réflexion préalable entre catholiques. L’absence d’incitation à consacrer du temps et des efforts à la réflexion collective pour la préparation de demain conduit à penser que l’Église y est opposée. Au lieu de s’attrister de leur peu d’audience, l’Institution et les catholiques devraient s’interroger sur les causes et sur les solutions possibles. Le premier temps de cette réflexion serait d’analyser les conséquences de leur absence des lieux de propositions et de décisions.

V – Les débats, clés pour les propositions, les adhésions, les engagements.

Peut-on espérer des propositions utiles et réalistes si on n’a pas réfléchi ensemble, documenté ensemble, analysé ensemble, débattu ensemble, dépassé les options particulières ensemble, établi un socle commun collectivement, construit ensemble, adhéré aux conclusions ensemble et décidé de leur mise en application communautairement ? Où et quand l’avons-nous fait ? De même pour que les recommandations des papes et de nos évêques ne restent pas des vœux pieux, un débat collectif préalable est la condition indispensable à l’adhésion et à la mobilisation.  ?

Les catholiques ne se réunissent qu’exceptionnellement pour analyser ensemble chaque problème et ses conséquences dans leur globalité et construire des propositions consensuelles. Il faut instituer des Cercles de Réflexion Chrétiens (CCR) pour réfléchir ensemble, construire des propositions consensuelles et les diffuser chez les catholiques pour obtenir leur adhésion et leur mobilisation. C’est seulement ensuite qu’on pourra rencontrer les autres, leur faire connaître les options chrétiennes, et dans certains cas les faire changer de positionnement. Inutiles et dangereuses seraient les rencontres non précédées de la construction d’un consensus entre catholiques.

Des Cercles de réflexion, comment ? Il n’est pas inutile de s’interroger sur l’efficacité des loges non pour en imiter ce qui est cause de rejet, mais pour importer les côtés positifs de leur démarche. Il n’est pas question ici de défendre les défauts de la franc-maçonnerie : les règles d’avancement secrètement faussées par la préférence fraternelle, l’influencement de tous les milieux et de toutes les professions par un réseau indétectable, la discussion des lois avant leur vote par une fraternelle des élus, bref le contournement sournois des structures, mais de s’interroger sur les raisons de leur efficacité… Certes, elle est due en partie au caractère secret du réseau, au recrutement des plus performants et à la loi du secret qui génère une liberté de parole puisque personne d’extérieur ne saura qui a dit quoi. Il en résulte que dans la plupart des médias et des postes de direction jusque dans les gouvernements successifs (et ceci depuis le Premier Empire)[7], la proportion de francs-maçons est nettement prédominante. Ces défauts valent aux catholiques l’interdiction d’y participer. S’en arrêter là serait méconnaître un facteur essentiel de leur efficacité : un état d’esprit dans la manière de discuter totalement différent dont nous devrions nous inspirer. Cette affirmation pourrait me rendre suspect si l’intérêt et la légitimité du benchmarking (l’importation de ce qui marche bien chez les autres) n’étaient largement démontrés. Personne ne reproche aux rédacteurs du Pentateuque d’avoir emprunté des histoires antérieures d’un millénaire, comme le déluge inspiré par l’épopée de Gilgamesh ou la nacelle de Moïse, par celle de Sargon Ier.

Essayons une esquisse de la réflexion maçonne telle que je l’ai perçue à travers les témoignages d’amis : la nature sacrée de la réflexion est confortée par des rites qui de l’extérieur paraissent absurdes (ils rejoignent en cela les confucianistes, les juifs et bien d’autres), l’attitude réflective est soutenue par des réunions fréquentes (généralement deux par mois), la pensée se veut non catégorielle du fait du recrutement de membres issus de milieux, de professions et d’opinions différentes, et la discussion obéit à des règles strictes : les sujets les plus divers sont systématiquement explorés ; les opinions les plus opposées peuvent s’exprimer à condition d’être associées à une argumentation rigoureuse excluant tout argument d’autorité et toute confusion entre les faits et les opinions ; l’objectif n’est pas d’effectuer une synthèse (forcément influencée par les idées du meneur de débats) mais, pour tous sujets, de recenser les idées différentes.

Cet état d’esprit – aux antipodes de ce qu’on observe habituellement chez les catholiques – ne devrions-nous pas nous en inspirer ? Car à quoi tient l’efficacité d’un groupe de réflexion sinon au partage d’expérience qui permet la découverte des diverses facettes et un élan collectif pour l’élaboration de propositions réalistes et ensuite leur mise en pratique. Le groupe fait bien plus que démultiplier l’efficacité individuelle comme j’ai pu le constater lors de trois expériences prolongées. La plus riche a été l’animation d’un groupe de réflexion universitaire réunissant six fois par an des universitaires de disciplines différentes pour réfléchir sur un thème, échanger sur l’actualité et prier. Durant sept années, j’ai animé, durant les vacances d’été, des soirées qui réunissaient entre 50 et 120 personnes pour un exposé/débat sur des sujets très variés. Enfin, j’ai animé durant cinq ans des réunions de petits groupes d’étudiants sur des thèmes comme les addictions, l’amour, l’ajustement entre l’efficacité commerciale et le souci des autres, le sens de la vie et de la mort à la lumière des évangiles. Chaque fois, j’ai constaté l’intérêt suscité par ces réunions et les bienfaits que chacun en tirait : élargissement des connaissances et des visions de chacun, propositions originales et réalistes. Les grandes encycliques papales généreraient davantage d’applications concrètes si elles faisaient l’objet de débats dans des CCR au lieu de conférences monologuées et plus ou moins réductrices.

De quels débats parlons nous ? De débats intra catégoriels ou de débats inter catégoriels ? De débats « devant » ou de débats « entre » ? 1° Le débat catégoriel ne peut qu’aboutir à une vision partielle, donc à des propositions partiales, le plus souvent conservatrices ou utopiques. À l’inverse, un débat inter catégoriel conduit à approfondir les différentes facettes de chaque problème, à creuser les causes des opinions différentes, à élaborer des réformes tenant compte des effets collatéraux, et finalement à proposer des décisions plus consensuelles. 2° Quant à la portée d’un débat devant, elle ne dépasse pas celle d’une conférence : les idées émises, même si elles entraînent une approbation intellectuelle, modifient peu les comportements. En revanche, un débat entre les participants mobilise la réflexion de tous et provoque plus souvent un déplacement d’opinion ainsi qu’une adhésion en profondeur qui aboutiront à davantage de mobilisation personnelle et donc à une plus grande chance de concrétisation des projets.

VI – Esquisse des Cercles Chrétiens de Réflexion

L’objectif premier des CCR serait d’enrichir nos connaissances sur le passé qui conditionne une partie du monde actuel et de nos attitudes, sur le présent toujours plus complexe que ne le laisse deviner une vision catégorielle et sur le futur, tant dans sa part prévisible que dans son imprévisibilité avec la préparation à la réactivité qu’il nécessite. Le second objectif serait de bâtir des propositions conformes aux enseignements du Christ, sans esprit de lobbying. Rappelons que proposer n’est pas imposer mais faire entendre et comprendre.

De tels CCR ne peuvent naître sans un profond changement de mentalité de l’institution, des clercs et des laïcs. La première doit hausser « la réflexion » au niveau des priorités, à côté des œuvres caritatives. Les seconds doivent l’inclure parmi leurs incitations pastorales. Quant à nous, les laïcs, nous devons lui accorder une place dans la programmation de notre temps et accepter de nous conformer aux règles qui ont montré leur efficacité. Ceux qui en ont la capacité doivent se porter candidats à l’animation dans un esprit de service, d’humilité mais aussi de volonté de construire pour demain un monde meilleur.

Pour être efficaces et pérennes, ces CCR devraient avoir une structure commune avec un règlement fort et une discipline rigoureuse en matière de réflexion. La structure aurait un quadruple rôle d’incitation et de formation des membres, de contrôle du respect des règles, de soutien et enfin de diffusion de l’information issue de chaque cercle. Le règlement comporterait le maintien de l’inspiration chrétienne (encadrement par la prière, accompagnement par un prêtre), la diversité du recrutement, l’animation tournante élective, la priorité donnée aux exposés par les membres eux-mêmes à partir de leurs expériences personnelles ou de leurs études, l’obligation du travail personnel de chaque membre. La discipline de réflexion comporterait : une durée des débats égale ou supérieure à celle des exposés introductifs, des débats entre les membres (et non devant eux), un temps de parole contrôlé et ouvert à tous, l’écoute des contradicteurs, la distinction entre les faits et les opinions, et surtout la volonté de construire plutôt que de s’affronter… Une discipline perçue non comme une limitation mais comme un cadre indispensable à l’efficacité [8].

VII – Les trois conditions de leur mise en œuvre

Elle nécessite trois conditions : une incitation ecclésiale, une organisation consensuelle et une charte avec des règles précises pour prévenir l’enfermement dans l’entre-soi et le n’importe quoi.

L’incitation ecclésiale – Elle implique une plus grande attention aux conséquences de l’évolution du monde sur la qualité de vie, le respect de la liberté religieuse, l’esprit de fraternité et la transmission du Christ et de son enseignement. Chaque élément de cette phrase pourrait faire l’objet d’un long développement. L’exclusivité donnée aux objectifs de dévotion et d’œuvres caritatives immédiates entraîne un aveuglement sur la nécessité de penser les structures futures de manière réaliste, c’est-à-dire en tenant compte de la totalité des changements évoqués ci-dessus.

Une organisation consensuelle – Elle est indispensable tant pour l’efficacité immédiate que pour la durée. Elle doit se faire autour des trois objectifs que sont la réflexion collective, la promotion des idées et la formation des membres au respect des règles indispensables pour éviter l’enlisement dans des combats stériles, l’enfermement dans l’entre-soi et l’anarchie. Cette organisation doit comporter des cercles et une coordination centrale. Les statuts doivent préciser les modalités et les devoirs des premiers et de la coordination. Ils doivent être conçus de manière à développer l’esprit consensus, l’efficacité d’une discussion tenant compte de la globalité de chaque problème et des motivations à l’origine des opinions différentes, et la production de projets réalistes tenant compte du contexte mondial autant que des situations locales. La nomination des responsables doit se faire de manière consensuelle et dans un esprit qui privilégie le « servir » sur le « se servir ».

La charte – Elle doit être l’expression de cet état d’esprit ; préciser les trois objectifs, le réfléchir ensemble, la promotion des idées sans lobbying, la formation des membres : décrire la structure avec ses deux composantes, les modalités de recrutement des membres (ainsi que de leur éventuelle exclusion), celle de l’accompagnement spirituel, le contenu des séances et la manière dont elles sont conduites, le choix des thèmes des séances et surtout la discipline des débats. Cette dernière doit privilégier la volonté de comprendre des opinions différentes à aider les autres, leur cause et les causes de ces causes. Cet état d’esprit amène à proscrire des attitudes fréquentes y compris chez les catholiques, qui rendent impossible la prise en compte des différents aspects de chaque problème et l’établissement de propositions consensuelles.

Conclusion

Il est urgent de développer des Cercles de réflexion chrétiens réunissant des gens de professions différentes et d’opinions variées. Pour huit raisons :

1) La spécificité de la pensée chrétienne. Malgré la très grande diversité d’options qu’elle réunit, elle est indispensable à la bonne marche du monde à cause de son enracinement dans l’Évangile et la doctrine catholique (tant dans ce qu’elles proposent que dans ce qu’elles excluent).

2) Cette pensée catholique est insuffisamment présente dans les débats publics et les propositions d’avenir. Les causes sont tantôt qu’elle n’arrive pas à se faire entendre, tantôt qu’elle est incomprise, tantôt qu’elle est insuffisamment relayée, diffusée, portée pour combattre les pensées adverses.

3) Les seules propositions susceptibles de se concrétiser sont celles qui émergent de discussions entre les différentes couches de la société. La raison en est qu’elles seules prennent en compte la globalité des problèmes, y compris les effets collatéraux négatifs..

4) Les bonnes idées ne se concrétisent que soutenues par l’adhésion des masses. Même provenant de phares (tels que la hiérarchie) elles ne se réaliseront pas sans consacrer du temps à des débats contradictoires et à la recherche commune d’un consensus, qui se fera bien souvent au prix d’aménagements.

5)  L’absence de cercles de réflexion catholique entraîne dans les faits, la mutité de laïcs catholiques. C’est regrettable car leur expériences et leurs compétences (que n’a pas la hiérarchie) pourraient être à l’origine de propositions constructives.

6) Nombre de catholiques sont avides de tels débats et capables de discuter de manière constructive. Certaines équipes synodales ont bien illustré cette une volonté de construire ensemble.

7) Moins les catholiques provenant d’horizons divers discuteront ensemble, moins ils apprendront à s’écouter et à s’enrichir par la diversité des points de vue. Comme pour tout, c’est en forgeant qu’on devient forgeron.

8) Enfin, le peu de place donnée à la réflexion dans l’Église catholique décourage les élites pensantes. Ceux-là sont tentés de de rejoindre les élites pensantes, notamment les francs-maçons.       

La création de ces cercles chrétiens est une urgence. Se poser la question de la faisabilité de tels cercles entre chrétiens, serait mettre en doute leur capacité à faire ce que font les non-chrétiens, mais aussi celle d’assumer le commandement d’amour de Dieu. Ne pas prioriser la réflexion collective, c’est accepter qu’augmentent encore les lois antichrétiennes, le nombre d’églises fermées et la détresse matérielle et spirituelle du monde. Telle est la raison de cet appel.

C’est aux jeunes d’aujourd’hui de s’engager dans cette voie.


[1] Bruno Tertrais, Le choc démographique, Odile Jacob, 2020.

[2]  Evangelii Gaudium, Exhortation apostolique du Pape François, 2013.

[3] Jared Diamond, Effondrement, Gallimard 2006.

[4] « Dans les secrets des francs-maçons »,  diffusé le 25, 01, 2022 par RMC Story

[5] Dans un échange personnel, Mgr Éric de Moulins Beaufort (président de la conférence des évêques de France) m’a écrit : il nous faut aider les catholiques français à s’écouter et à ne pas se méfier les uns des autres dès que des sujets sociaux les opposent. La foi est plus profonde que ces divisions.

[6] « Stratégie de l’action culturelle islamique à l’extérieur du monde islamique », document du département éducatif et culturel de l’Organisation de la Coopération Islamique qui regroupe 54 États musulmans. Lire à son sujet : Jean Frédéric Poisson « l’Islam à la conquête de l’Occident – la Stratégie dévoilée »,  Editions du Rocher.

[7]  En un autre temps, chaque fois que je vantais les mérites d’une manière de faire observée aux USA en matière de santé, on m’objectait les défauts d’une médecine à deux vitesses, ce qui n’avait rien à voir. Les défauts d’un système ne doivent pas faire méconnaître les procédés efficaces et porteurs de progrès qui pourraient être utile chez nous. 

[8]  Pour Jérôme Vignon (président d’honneur des Semaines Sociales de France) cette discipline fait la force de proposition du ZdK, le Comité central des catholiques allemands, instance qui représente les laïcs auprès de la Conférence de Evêques allemands.

* * * * * *

Mouvement des Cercles Chrétiens de Réflexion (MCCR)

Proposition de Statuts/charte

(Projet 30.12.2022)  

Ceci n’est qu’un exemple de ce que pourraient être ces Cercles . Toute personne intéressée par cette réflexion peut me joindre directement (Voir page accueil)

I – Objectifs du Mouvement

Le Mouvement des Cercles Chrétiens de Réflexion (MCCR) a pour objet de susciter et organiser une réflexion collective entre chrétiens…

  • Active (cad. impliquant un investissement personnel),
  • Transversale (c.a.d. avec des personnes de milieux et d’expériences différents),
  • Globale (c.a.d. envisageant tous les aspects et toutes les conséquences des sujets abordés et des propositions émanant d’un cercle),
  • Constructive (c.a.d. désireuse d’aboutir à des éclairages pertinents et si possible des propositions utiles, s’inscrivant dans la foi en Jésus Christ et en son Eglise).

Il  poursuit cinq objectifs :

1, Faire prendre conscience aux catholiques de l’utilité individuelle et sociétale d’une réflexion collective telle que définie ci-dessus, sur les questions sociétales, culturelles, économiques, éthiques, politiques et organisationnelles, actuelles et prévisibles, sans tabous ni apriori, en prenant en compte la diversité des expériences et des cultures, afin de s’enrichir par la compréhension des multiples facettes des problèmes et des vécus, et de les rapporter au référentiel chrétien.

2, Organiser/structurer cette réflexion à l’échelle nationale pour qu’elle soit constructive, ce qui implique un état d’esprit où l’autoréférencement soit remplacé par une écoute réciproque et des règles organisationnelles précises, chaque membre  ayant à cœur d’enrichir son expérience et ses connaissances par celles des autres, tout en restant libre de ses propres opinions.

3, Former les membres au respect des règles des débats respectueux des différences, telles que définies ci-dessous .

4, Construire, chaque fois que possible, des propositions pour « un mieux vivre ensemble » aujourd’hui et demain, ayant un haut degré de « consensus », tenant compte de la globalité des aspects et des conséquences, et respectueuses des personnes et de leur liberté,

5, Assurer la promotion des propositions importantes auprès de l’opinion publique, des décideurs et éventuellement des partis politiques, par  des moyens légaux et conformes  à l’éthique chrétienne.

II – STRUCTURE DU MOUVEMENT

Il comprend les cercles et une coordination nationale.

1° Les Cercles
  • Chaque cercle rassemble des hommes et des femmes

1) s’affirmant chrétiens par l’adhésion au credo de Nicée-Constantinople.

2) d’âges, de professions, de milieux sociaux et de sensibilités politiques différents afin d’acquérir une vision aussi large que possible,

3) et s’engageant à respecter les règles et l’esprit de la charte.

  • Chaque cercle rassemble une quinzaine de personnes au maximum, étant admis qu’au-delà, une participation individuelle effective aux débats ne peut plus avoir lieu. Si besoin, un cercle se scindera pour rester dans cette limite.
  • Chaque cercle choisit pour une durée de trois ans (renouvelable), un coordonnateur. Il est élu si nécessaire par scrutin secret. Il peut s’adjoindre un ou deux délégués en fonction des besoins du bon fonctionnement du cercle. 
  • Chaque cercle fonctionne de façon autonome pour la détermination des thèmes traités et le rythme de ses séances, mais il le fait en lien avec la coordination centrale dont il s’engage à respecter les règles générales, à suivre les recommandations et à lui adresser un rapport d’activité annuel à la fin de chaque année scolaire.
2° La  Coordination nationale

1)Elle associe les cercles et assure le respect de cette Charte par chaque cercle.

2) Elle se compose d’un représentant de chaque cercle, en principe son coordonnateur, ou à défaut son délégué.

3) Elle désigne en son sein un coordonnateur national pour une durée de trois ans (renouvelable). Celui-ci peut s’adjoint un ou plusieurs adjoints choisis parmi les membres pour former un bureau.  Le coordonnateur rend compte de son action à la Coordination nationale qui se réunit à l’initiative du coordonnateur national, au moins une fois par an, pour faire le point sur la vie des cercles. Elle devra en outre être réunie sur demande motivée d’un cercle. Cette réunion peut se faire en présentiel ou en vidéo.

4) Le bureau peut constater qu’un cercle ne respecte pas la présente Charte et après vote motivé de l’ensemble de la coordination, lui demander des modifications de composition ou de fonctionnement. En cas de refus, le coordonnateur national lui proposera une réunion contradictoire à l’issue de laquelle la coordination pourra prononcer à la majorité de ses membres son exclusion du MCCR.  La décision sera notifiée au coordonnateur du dit cercle par une lettre qui sera communiquée à l’ensemble des autres cercles.

III – CREATION, RECRUTEMENT ET EXCLUSION

1° La création.

Chaque cercle est créé par une initiative locale. Sa candidature au MCCR nécessite que les créateurs se soient réunis pour approuver la Charte, aient désigné leur coordonnateur et posé leur candidature auprès de la Coordination nationale qui instruira le dossier comprenant le nom, les coordonnées personnelles des membres (âge, situation familiale et professionnelle) ainsi que la formule d’engagement remplie (modèle figurant en annexe). Le coordonnateur du cercle doit informer la Coordination  nationale des modifications ultérieures de ces données.

Les membres.

Tout chrétien, homme et femme peut postuler à un cercle sur sa demande spontanée ou sur appel du cercle. La qualité de membre  est subordonnée à l’engagement écrit d’adhérer au credo de Nicée-Constantinople, de respecter la présente Charte, de participer activement (sauf empêchement majeur) aux séances formelles du cercle et à prendre sa part des exposés et des tâches générales.

La demande d’adhésion formalisée par la remise de l’engagement prévu en annexe, doit être acceptée à la majorité des membres du cercle par un vote à bulletin secret. Le résultat du vote est consigné par écrit. L’appartenance au MCCR – sans être tenue secrète – ne fait l’objet d’aucune publicité.

3° Démission et exclusion.

Un membre du cercle peut démissionner à tout moment. Cette démission est présentée par écrit au coordonnateur du cercle qui en accuse réception par écrit.

Un membre du cercle peut en être exclu par un vote majoritaire des membres au scrutin secret, notamment pour une participation insuffisante, mais après qu’il ait été averti des griefs qui lui sont reprochés, et qu’il ait pu, s’il le demande, s’expliquer devant les membres du cercle convoqués à cet effet. Son exclusion lui est notifiée par écrit et est communiquée aussitôt à la Coordination nationale avec les motifs.

Ministres des cultes.

Les cercles peuvent accueillir parmi leurs membres, un ministre des cultes chrétiens dans les mêmes conditions que les laïcs.

En leur absence, l’accompagnement par un ministre des cultes (catholique, orthodoxe ou protestant), est conseillé. Il doit être accepté par les deux tiers des membres du cercle. Son rôle est de donner un éclairage spirituel sur les thèmes débattus ; il ne participe pas aux votes.

IV – FONCTIONNEMENT

L’organisation pratique.

Chaque cercle fonctionne de manière autonome pour l’admission de ses membres, la détermination des thèmes abordés, et son rythme de réunion. Le coordonnateur  doit prévoir au minimum quatre séances par an (dites séance formelles). Elles sont annoncées aux membres  au moins un mois à l’avance, après une recherche de dates convenant au plus grand nombre. Dans la mesure du possible, les membres réfléchissent et se renseignent sur les thèmes avant les réunions.

Les séances

Elles se tiennent dans un esprit fraternel, dépassant les clivages notamment  politiques ou culturels. Elles sont dirigées par le coordonnateur ou son délégué qui veillent à sa bonne tenue et au respect des horaires. Si nécessaire, ils rappellent que l’objectif n’est pas l’affrontement mais l’enrichissement réciproque par la compréhension des opinions différentes et de leurs causes. Ils donnent la parole et peuvent la retirer si nécessaire à la bonne poursuite des débats.

Le programme des séances.

Chaque séance est ouverte par le coordonnateur ou son délégué, puis comporte cinq temps :

– un temps de recueillement comportant une courte prière ou une méditation.

– un exposé consacré au thème principal de la séance.

– un débat dont la durée doit être au moins égale à celle de l’exposé. Chacun peut poser des questions ou exprimer sa position en donnant ses  arguments mais sans polémiquer ni sur l’exposé ni sur les opinions d’autrui. Pour une participation effective de tous, un tour de table systématique peut être utilisé. Le modérateur  veille au respect des règles. Pour plus de clarté, il peut gérer l’ordre des questions débattues.  

– dans la limite du temps disponible, une brève discussion de l’actualité.

– une conclusion par le modérateur qui s’efforce de résumer les points de consensus et de dissensus puis annonce la séance suivante, sa date et le choix du thème.

L’exposant est invité si possible, à laisser un résumé écrit. Avec son accord et si cela parait utile, celui-ci peut être adressé à la Coordination nationale.

L’exposé

C’est le temps fort de la séance, il est prononcé par un membre du cercle, de préférence à tour de rôle, chacun ayant vocation à le faire. L’appel à l’appui d’un intervenant devant rester exceptionnel.

Chaque membre du cercle peut proposer un thème. Le choix du thème et le nom de l’exposant sont déterminés par les membres durant les séances précédentes. Ces thèmes peuvent concerner tous les domaines civilisationnels, structurels, organisationnels du monde et des sociétés actuelles. Les exposés historiques sont licites lorsqu’ils sont porteurs de leçons. Les thèmes portant sur la manière de faire de l’Eglise en matière de gouvernance, de formation et d’évangélisation sont admis à condition d’être traités avec la volonté d’aboutir, dans le respect des dogmes, à des propositions constructives et réalistes. Les thèmes d’appartenance politique sont proscrits.

La discipline des débats

Ils se font dans un esprit de fraternité et de volonté de comprendre les opinions différentes des uns et des autres, leurs causes et les causes de ces causes. Le but est l’enrichissement réciproque et non l’affrontement, l’émergence de propositions constructives et non l’imposition de convictions personnelles. En conséquence, les interruptions intempestives, les propos désobligeants et les procès d’intention constituent des fautes dont la répétition peut conduire à l’exclusion du membre.

On ne se coupe pas la parole, on s’efforce de comprendre les motivations d’autrui, et en cas de désaccord, de retenir ce qu’il y a de positif. Une opinion contraire doit s’exprimer par un argumentaire précis des raisons opposées et éventuellement des questions respectueuses du type : êtes-vous certain de tel fait ? Avez-vous tenu compte du fait que ? Ne craignez-vous pas que ? Est-ce que tel choix ne risque pas d’entraîner telle conséquence négative ? Etc.

Au cours des discussions, les membres s’engagent

  • à davantage chercher à partager et à construire qu’à imposer leur propre conviction,
  • à distinguer clairement les faits et les opinions,
  • à ne pas interrompre les exposés,
  • à ne pas prendre la parole sans y avoir été autorisé,
  • à proscrire les expressions désobligeantes, les procès d’intention et les arguments d’autorité,
  • à éviter les détours inutiles et les sorties du sujet traité,
  • à limiter leurs interventions en nombre et en durée pour ne pas monopoliser le temps disponible et à accepter d’être interrompu par le coordinateur en cas de dépassement de la durée maximale fixée par celui-ci, les discussions non terminées pouvant se poursuivre par internet ou faire l’objet d’une autre séance dédiée.

Engagement de candidature à un Cercle affilié au MCCR

Mr, Mme…

Né le…                                             à …

  • présente sa candidature au Cercle….
  • certifie être chrétien et adhérer au credo du concile de Nicée,
  • s’engage à participer activement et à respecter l’esprit et les règles de la Charte, notamment celles de la section IV.

                            Fait à…                                          le…

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